Routine, ennui, bonheur.

210416/ « En fait la vie est trop monotone : c’est pour ça qu’on est triste, et qu’on finit forcément par aimer tout ce qui sort de l’ordinaire. Ensuite, vient le moment où tout ce qu’on aimait devient lassant à force de trop le faire… »


On vit dans l’ère du micro-divertissement, entouré de tous ces réseaux sociaux provoquant des mini pics de dopamine. Chaque réaction positive de la part des autres engendre une satisfaction immédiate, confortant ainsi notre ego et notre besoin d’estime. Cette rétribution quasi-instantanée se fait chaque jour, même chaque heure pour les plus accros. On ne sait pas s’arrêter et on a tellement tout immédiatement qu’on ne sait plus s’occuper. Un de mes collègues désigne cette génération la « génération micro-ondes » : on veut tout, tout de suite. Le créateur du like de Facebook disait à quel point il se sentait coupable de l’état du monde actuel. Idem, pour celui de l’iPhone. Ces innovateurs ont interdit à leurs propres enfants d’utiliser les réseaux sociaux. On devient dépendant de ces mini vidéos au format TikTok, de ces mini pics d’information insolites prenant la forme de tweets ou d’articles. Puis, on finit par s’ennuyer à force de trop d’abondance. On a à notre disposition des sources illimitées de distraction et pourtant on n’arrive toujours pas à s’occuper. Avec Internet, on peut quasiment tout apprendre, tout regarder, tout écouter. On peut tout aussi sortir prendre l’air dehors, lire un livre ou faire des activités créatives. Alors, pourquoi s’ennuie-t-on? Allons chercher quelques réponses du côté de la philosophie.

Disclaimer : le passage suivant vient entièrement d’une conférence d’André Comte-Sponville. Je ne l’ai pas réécris car la rhétorique appliquée est si parfaite que je refuse de reformuler ce passage.


Quand je désire ce que je n’ai pas, c’est ce que Schopenhauer appelle la souffrance : j’ai faim et je n’ai rien à manger : souffrance. Je l’aime, elle ne m’aime pas : souffrance. Mais lorsque j’ai, ce qui dès lors ne manque plus, donc que je ne désire plus, il n’y a plus de souffrance car il n’y a plus de manque. Ce n’est pas le bonheur, il n’y a plus de désir. C’est ce que Schopenhauer appelle l’ennui. L’ennui ce n’est ni le bonheur, ni le malheur. C’est l’absence du bonheur, au lieu même de sa présence attendue.

J’avais rendez-vous avec le bonheur. Je me disais « qu’est-ce que je serais heureux si« , « qu’est-ce que je serai heureux quand« . Le « si » se réalise, le « quand » c’est aujourd’hui, mais je ne suis pas heureux pour autant. Le bonheur m’a posé un lapin. C’est pas que je sois malheureux, simplement je m’emmerde.

Ainsi toute notre vie oscille, comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance vers l’ennui. Souffrance parce que je désire ce que je n’ai pas, et que je souffre de ce manque. Ennui, parce que j’ai, ce que dès lors je ne désire plus.

Souffrance du chômeur, ennui du salarié.
Souffrance du chagrin d’amour, ennui du couple.



L’ennui vient avec la lassitude due à la disponibilité et l’abondance d’une chose que l’on désirait auparavant. Lorsque la disponibilité d’une chose augmente, la satisfaction retirée de sa consommation diminue. Les économistes néoclassiques utilisent le terme d’utilité marginale décroissante pour qualifier cet effet. -L’utilité devient donc une sorte de synonyme économique du mot « satisfaction ».- Logiquement, cette satisfaction décroît à mesure que l’on bénéficie du même bien ou service. Par exemple, si l’on possède déjà un smartphone, l’utilité apportée par un smartphone supplémentaire est faible, comparée à la situation où l’on en possède aucun.

Cette démonstration montre que la valeur des choses vient de leur leur faible nombre d’apparitions. Ainsi, le désir naît du manque, et c’est lorsque ce manque disparaît que l’ennui apparaît. Sans manque, donc sans désir, quelles motivations reste-t-il?.. Comment trouver le bonheur, que faudrait-il combler? De quoi pourrions-nous avoir besoin?

Si on veut utiliser une théorie du besoin, ça tombe bien, Maslow les a déjà classifiées. Sa célèbre pyramide classifie les différents besoins de la manière suivante : les besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime puis enfin le besoin de s’accomplir. Si l’argent résout indéniablement les deux premiers paliers de besoins, les derniers restent toujours à conquérir. Le manque dû à l’argent étant principalement matériel, il faut chercher ses sources de bonheur dans les choses qui ne nous sont pas déjà accessibles via l’argent. Ainsi, les nouvelles sources de bonheur et de distraction se retrouvent en soi-même, ou en les autres. Un célèbre philosophe a dit un jour

Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour. » – Platon

Alors, que voulez-vous faire? Qui voulez-vous être? Où souhaitez-vous aller?