Intelligence, souffrance, croyance.

Octobre 2016 – J’avais 18 ans.
« Les humains sont juste des bêtes dotés d’intelligence. Plus on est intelligent, plus on souffre. Les animaux souffrent moins que les hommes, ou du moins, ils ont moins matière à être anxieux. Nous, on se prend la tête avec des problèmes compliqués, on ressent des sentiments complexes et douloureux à cause de nos propres dogmes.« 


Par exemple, le féminisme n’existe pas chez les singes, parce que leur sentiment d’appartenance est limité à la tribu ou à la famille proche. Ce besoin d’affirmation et d’appartenance à un groupe social n’est aussi développé que chez les humains. Au fur et à mesure du temps, sont apparus des schémas de pensées, des comportements, censés être justifiés pour la plupart par l’évolution.

C’est le contexte social que nous avons créé, qui est à l’origine de la plupart des maux : parce qu’on doit réussir, parce qu’on veut être libre, parce qu’on n’est pas comme les autres, ou encore parce que l’on est une femme. Toutes ces raisons nous mettent sous pression et nous poussent à nous questionner. Les personnes qui s’interrogent sur leur place dans le monde se sentent naturellement plus concernées par ces causes, tandis que celles qui se contentent de vivre leur vie sont sûrement plus heureuses. Pour reprendre les exemples des animaux : rares sont ceux qui ont conscience d’eux-mêmes. Se reconnaître dans un miroir est déjà signe d’une grande intelligence de leur part. Ainsi, se préoccuper de ces méta-questions serait totalement inimaginable pour eux. C’est notre volonté à vouloir donner du sens à tout, et notre capacité à interpréter qui nous rend malheureux. La souffrance humaine aurait pour cause intrinsèque l’intelligence de notre espèce. [1]

Exemples :
– J’avais une prof de philosophie au lycée, qui nous parlait de son ex-mari. Tous deux avaient un doctorat en philosophie. Elle nous avait dit à quel point son mari était malheureux, à cause de toutes ces questions qu’il se posait.
– Dans une conférence TED, Elif Shafak racontait également à quel point tous les conférenciers qu’elle rencontrait étaient blasés, et limite dépressifs. [2]

Est-ce que les gens intelligents seraient statistiquement plus malheureux que d’autres?

Je n’ai pas encore trouvé d’études ou de chiffres à ce sujet, mais j’en suis quasiment sûre. Les questions existentielles, et les grèves -comme celles que nous traversons- sont la problématique des pays développés. A l’inverse, dans une nation où les besoins primaires ne sont pas satisfaits -comme les besoins physiologiques et besoins de sécurité-, les individus n’iraient pas chercher à satisfaire leur besoin d’appartenance en priorité. Il y a probablement peu de féminisme en Syrie, parce que les personnes cherchent surtout à se mettre en sécurité, avant de vouloir rétablir l’égalité homme-femme. Il n’y a pas de militants écologiques dans les pays sans eau potable, car ces nations pensent d’abord à survivre au quotidien, avant de réfléchir au futur commun de la planète.

L’Humain est très fort pour se créer des problèmes -dont les fondements n’ont pour limite que son imagination- bien qu’ils se répercutent dans le monde réel. Ce sont ses valeurs qu’il défend, ses barrières invisibles qui le maintiennent à l’écart, ou encore ses propres angoisses parfois injustifiées, qui le font se révolter pour des causes imaginaires [3]. C’est parce vous vous façonnez une toute autre réalité dans votre esprit, que pour vous quelque chose ne va pas. Il existe en fait une contradiction entre la réalité, et vos principes. Ce qui se passe, n’est pas ce qui devrait se passer normalement, selon vous. Vous avez un autre idéal en tête. Chacun a ses propres valeurs, personne n’aura jamais exactement la même opinion que vous, sur tout.

Tout le monde se croit rationnel. Même ceux que vous considérez comme irrationnels, agissent au nom de leur rationalité. On vit chacun dans notre réalité : ils voient A, nous voyons B. Nous ne sommes pas d’accord, et nous ne le serons jamais. Le problème avec cette réalité protéiforme, c’est qui sommes-nous pour juger de celle des autres? Est-ce qu’il existe même une vérité unique, en excluant l’éthique et la morale?

Notre complexité est notre faiblesse, mais elle est également notre plus grande force.


Fun fact : cette pensée date d’Octobre 2016, je regardais Bates Motel. J’ai pensé à ça quand j’ai vu à quel point les deux protagonistes (fils et mère), arrivaient à se rendre malheureux l’un l’autre, bien qu’ils souhaitaient chacun le bonheur de l’autre. C’était leurs angoisses, leurs principes qui les empêchaient de trouver le bonheur. En d’autres mots : ils se prenaient la tête pour rien, en s’infligeant tous deux une souffrance inutile.

Remarques
[1] C’est un principe facile à poser. Evidemment, des facteurs externes peuvent rendre malheureux une personne, comme un environnement toxique et opprimant. Ceux-ci vont même davantage influencer la santé mentale que l’intelligence de la personne.
[2] Cette femme me fascine. Je la trouve inspirante. Sa manière de parler, ses métaphores, ainsi que son parcours scolaire, en font une intéressante conférencière et auteure. Je recommande à toutes les femmes qui cherchent à atteindre l’éloquence de regarder cette prestance. Une partie de ce qui est écrit dans cet article est inspirée de ce qu’elle dit dans ce TED talk.
[3] Yuval Noah Harari explique très bien ce phénomène de croyance imaginaire dans l’incontournable libre de Homo Sapiens.